Réouverture des lieux culturels : repenser les parcours visiteurs et spectateurs

(Série de 10 conseils pour faire revenir les publics dans les lieux culturels : épisode 5/10)

Dans notre conseil n°4, nous avons étudié en quoi les concepts de marketing phygital pouvaient nous apporter des solutions pour faire venir ou revenir les publics dans les lieux culturels. Nous l’avons vu, la notion d’omnicanalité est centrale pour aborder la question des publics de manière holistique et dépasser la limite artificielle entre publics en ligne et publics in situ. Mais avec l’omnicanalité surgit une difficulté supplémentaire. Parmi les multiples points de contact qui se dessinent avec les publics, comment imaginer, modéliser et influencer le parcours du visiteur ou spectateur pour le guider du monde digital au lieu physique ?

Pour apporter des réponses et des points de vue différents, une pratique chère à Orcène, nous avons fait appel pour cet article à deux spécialistes en la matière ! D’une part, Florentin Aquenin, Data Analyst, nous parlera de l’analyse de données comme un outil précieux pour dessiner et renforcer les parcours utilisateurs du digital à l’in situ. D’autre part, le réputé Omer Pesquer (Muzeodrome), qui se passionne depuis des années pour les problématiques d’intégration de l’univers du numérique dans le monde des musées, nous insufflera des idées précieuses pour ouvrir le débat. Voilà de quoi pousser la réflexion un peu plus loin que la seule réouverture des lieux culturels !

Le parcours visiteur ou spectateur, du virtuel à l'in situ

Petit rappel : cette série d’articles a pour thème principal le retour des publics dans les lieux culturels. C’est pourquoi nous envisageons ici le parcours utilisateur dans la direction générale « distanciel vers présentiel »Autrement dit, nous tentons de définir quels moyens nous avons en notre possession pour guider un visiteur ou spectateur qui, jusqu’ici, aurait eu une pratique culturelle virtuelle, jusqu’au lieu physique. Mais il va sans dire que des parcours utilisateurs purement digitaux, purement physiques ou pleinement fluides pourraient également être à l’étude.

Le développement des parcours transmédia

Quand on parle à Omer Pesquer (Muzeodrome) de parcours visiteur, il nous répond immédiatement transmédia. Car un parcours visiteur transmédia, c’est ce vers quoi, idéalement, nous devrions tendre pour dépasser le caractère quelque peu réducteur de la flèche droite d’un parcours utilisateur menant du web à l’in situ.

« La notion de narration transmédia, ou transmédialité, nous permet d’aborder l’univers du musée par le prisme des récits. Des récits dans lesquels le visiteur peut entrer et forger son propre parcours. Elle est donc fondamentale, en ce qu’elle permet de générer des entrées multiples dans cet univers.

Le visiteur n’en perçoit pas au départ la totalité. Il y entre par une entrée qui lui plaît ou qui l’attire particulièrement. C’est le principe du « trou de lapin ».

Prenons par exemple l’univers de Star Wars. On peut y entrer par les films, les jeux vidéos, les livres, les bandes dessinées, les concerts, les Legos… L’univers se nourrit de lui-même et ne cesse de s’étendre. Les portes d’entrées sont multiples et le parcours se conçoit comme une expérience totale.

C’est en cela que la notion de narration transmédia dépasse celle d’omnicanalité. Dans un musée, on parle beaucoup de connexions, on devrait pouvoir y entrer par plein de portes. Beaucoup de choses restent à travailler pour développer les récits qui permettront d’incarner les parcours du visiteur. »

Omer Pesquer (Muzeodrome), lors d’un entretien avec Orcène

Le retour vers les musées, théâtres et salles de spectacle

Pour simplifier le propos de notre article, nous allons toutefois céder à la tentation de réduire le parcours visiteur ou spectateur à deux grandes entrées : le lieu physique et le monde numérique. S’y déploient une multiplicité de chemins qui ne joignent pas nécessairement les deux extrémités. Par exemple, un spectateur peut voir une affiche dans la rue et acheter son billet au guichet. Un visiteur peut naviguer sur un site internet, visiter une exposition en ligne et demeurer purement virtuel. Mais si nous réfléchissons aux parcours qui lient l’in situ et le virtuel :

  • Le cheminement du lieu physique à l’univers virtuel est celui qu’ont emprunté massivement les visiteurs et spectateurs en 2020 et 2021. (Un article du Journal des Arts : Visites virtuelles, une nouvelle ère dans les musées et monuments.)
  • L’enjeu à l’instant t est de faire emprunter aux publics le chemin retour en les attirant à nouveau dans les salles (de concert, de spectacle, d’exposition).
  • Dans un tiers temps, il s’agira de faire venir les publics jusqu’ici exclusivement virtuels. Ceux-là même que les musées et salles de spectacle ont réussi à toucher par leurs nombreuses initiatives pour « garder le lien ». Si l’on ne peut plus vraiment les qualifier de primo-visiteurs, les faire franchir le pas de porte d’un musée ou d’une salle de spectacle constitue un challenge de taille !

Un double enjeu de démocratisation et d'équilibre économique

« Nous avons pu toucher une cible assez jeune et nous avons eu plus 100 000 vues sur le live réalisé au mois de décembre. (…) C’est une nouvelle manière de communiquer et de se faire connaître par les plus jeunes ; l’enjeu est désormais de transformer ce public virtuel en public dans les salles. Cela ne remplace pas le travail important fait par les équipes de la direction du développement et des publics mais nous misons sur une complémentarité des outils de médiation.« 

Fanny Cohen, secrétaire générale du théâtre de Chaillot (article de Violette Dehoze sur Artistikrezo)

L'enjeu de l'accessibilité de la Culture

Etude, éducation et délectation : le rôle du lieu physique

A l’heure actuelle, les expérimentations autour des offres numériques vont bon train. Mais en attendant de développer de nouveaux savoir-faire spécifiques, le lieu de diffusion physique reste, à court et moyen terme, l’endroit où l’institution culturelle sait le mieux remplir ses missions de médiation et de transmission. Il est donc important de conduire les publics là où la proposition des lieux culturels est encore la plus aboutie.

Cet enjeu d’inciter les nouveaux publics, parfois éloignés, de se rendre au musée, au théâtre ou au spectacle n’est pas nouveau. Mais le questionnement a changé de figure cette année avec le changement d’échelle soudain des communautés de visiteurs ou spectateurs en ligne. La communication digitale s’est en effet affirmée comme un moyen de toucher des publics qui semblaient jusque là hors d’atteinte.

« Mais il ne faut pas s’emballer. Les nouveaux publics que les institutions culturelles touchent par le numérique correspondent encore, dans leur grande majorité, aux profils de fréquentation habituels. L’orientation numérique est trop majoritairement documentaire. Par conséquent, elle s’adresse à un public qui a déjà des connaissances. »

Omer Pesquer, Muzeodrome, lors d’un entretien avec Orcène

Un obstacle dans le parcours des utilisateurs du web à l'in situ

Nous touchons ici du doigt un obstacle de taille au « transfert » des nouveaux publics du monde digital à l’espace physique. L’offre culturelle en ligne est encore trop conçue comme un pis-aller, et reste inscrite dans les anciennes pratiques. Or, le changement des pratiques des publics, par la consommation croissante de culture dématérialisée, rebat les cartes.

« L’univers en ligne acquiert une consistance qui lui est propre » , nous dit Omer Pesquer. « Les musiques actuelles ont un temps d’avance. Citons par exemple le concert de Billie Eilish, qui a eu lieu pendant le confinement. Le concert était entouré de tout un univers entièrement virtuel, contenant même une boutique avec des produits exclusifs. Le tout formait une expérience totale de 3 heures ! »

Dès lors, il existe un réel danger qu’une transposition numérique trop littérale des propositions des lieux culturels renforce le sentiment d’élitisme, décourageant la visite et ruinant au passage les efforts de médiation déployés in situ. Un effort de conception doit donc être fourni, afin de repenser la relation aux publics, spectateurs et visiteurs, et de renverser cette perception. C’est exactement le rôle du « parcours client » : anticiper ces obstacles et permettre un cheminement fluide et agréable.

« Avec toutes les précautions qu’il convient de prendre dans un tel cadre, cette nouvelle façon de voir la relation au spectateur, en demande d’appropriation différente du projet culturel – et la réponse que l’on peut apporter – nous semble aussi une façon de résister à la perception d’une culture et d’institutions considérées comme élitistes. »

Artishoc, Livre blanc des publics connectés (avril 2016)

De l'équilibre des modèles économiques des lieux culturels

D’autre part, le retour des publics in situ constitue un enjeu de taille pour l’équilibre des modèles économiques des lieux culturels. En effet, leurs ressources s’articulent le plus souvent autour des subventions et des ventes de billetterie. En face, il y a tous les frais spécifiques à la bonne marche d’un lieu physique. Alors, pour équilibrer, il n’y a évidemment pas 36 solutions. Après plus d’un an de disette et des jauges ultra-réduites, il faut commencer par remplir les salles. Donc, faire revenir les publics.

La stabilisation de ces recettes est une condition préalable pour se tourner avec sérénité vers le développement des projets en ligne. Car sauf exception, les propositions numériques des lieux culturels ne sont pas encore autonomes. Elles occasionnent davantage de coûts que de recettes. « En France, le pourcentage d’investissement dans les projets numériques est plus faible que chez nos voisins anglo-saxons », déplore Omer Pesquer. « Cela freine le développement des projets plus risqués ou expérimentaux. »

Dès lors, nous en sommes quasiment arrivés au stade ou l’activité du lieu physique soit compenser les pertes de l’activité en ligne. La solution court-terme, pragmatique et opérationnelle, c’est de faire en sorte qu’une visite en ligne amène à une conversion physique. C’est-à-dire à une rentrée d’argent. Nous avons bien dit court-terme ! Une remise en question du modèle est inévitable. Ainsi, une solution moyen-terme se dessine : le recours à un tiers-financeur qui soutiendrait cette phase d’expérimentation. Le soutien de fondations, en raison des objectifs d’intérêt général d’une telle action (accès à la culture) peut en effet se justifier. Mais à long-terme, ces mêmes fondations chercheront à ce que leurs financements soient relayés…

Visualiser le parcours de ses visiteurs ou spectateurs

On l’a compris, le parcours visiteur du lieu culturel ne commence plus à l’entrée de la salle de spectacle ou du lieu d’exposition. Il se réfléchit désormais bien en amont, mais aussi en aval, et le numérique a un rôle important à jouer dans cette continuité. L’utilisateur emprunte des chemins multiples et sans doute beaucoup plus tortueux et uniques qu’auparavant. Il faut maintenant poser ces intuitions sur le papier, réfléchir aux différents points de contact avec vos utilisateurs et élaborer des scénarios. Quel sera le parcours de votre visiteur, partant du moment où il découvrira votre établissement sur Instagram jusqu’au moment où il lira, de retour chez lui, le catalogue de l’exposition ?

Exemple d'un parcours visiteur, du premier contact sur un réseau social jusqu'à l'après-visite sur le lieu physique

Ce schéma, si élémentaire soit-il, a pour but de visualiser et différencier les étapes d’un parcours utilisateur du monde virtuel vers le lieu physique.

  • Dans notre exemple, le visiteur prend connaissance de l’activité de l’institution sur les réseaux sociaux. Un médiateur aura pris la parole pour présenter une oeuvre dans une vidéo Youtube mettant à contribution un influenceur partenaire.
  • Un appel à l’action, contenu dans la description de la vidéo, l’aura renvoyé vers le site du musée, où une exposition en ligne est disponible. Il la visite.
  • S’étant abonné à la chaîne Youtube de l’influenceur partenaire, l’utilisateur voit quelques semaines plus tard une communication présentant la prochaine exposition. Appel à l’action à nouveau, mais directement dans la vidéo cette fois : il consulte les informations pratiques de l’exposition.
  • Sur la landing page du site internet, le bouton de réservation est bien en évidence.  Direction la billetterie. C’est ICI que tout se passe. La billetterie est LE pivot autour duquel le parcours visiteur se matérialise enfin dans le monde physique.

L'achat du billet, point pivot du parcours utilisateur

Du "web to store" au "web to lieu culturel"

Faisons un petit détour du côté du secteur marchand, qui a bien entendu développé tout un panel de techniques destinées à encourager le visiteur de sa boutique en ligne à visiter son magasin physique. Dans le jargon, tous ces outils sont regroupés sous l’appellation « marketing phygital ». L’objectif est d’ailleurs clairement résumé dans le vocable « web to store » : on cherche à générer du trafic en point de vente. Cela vous choque ? Vous verrez qu’avec un peu d’esprit critique, certaines logiques peuvent tout à fait être applicables à notre problématique.

Dans le cas d’une boutique en ligne, l’une des méthodes les plus utilisées est le click and collect, qui permet au client de comparer, sélectionner et payer en ligne, puis d’avoir la meilleure expérience possible en magasin (maîtrise de l’affluence et du temps d’attente). Dans notre cas, pas besoin d’élaborer des circonvolutions pour provoquer la visite in situ. L’achat d’un billet en ligne pour un événement présentiel nous garantit *presque* à 100% d’avoir pour résultat une visite physique. Dès lors, nous pouvons nous concentrer sur ce qui se passe avant. C’est-à-dire, sur notre stratégie d’acquisition clients.

L'acquisition en ligne des futurs visiteurs ou spectateurs

Orcène à Florentin Aquenin, Data Analyst : Florentin, peux-tu nous rappeler les fondamentaux de la démarche d’acquisition des clients en ligne ?
L’acquisition en ligne s’effectue via différents canaux, naturels et payants, représentant chacun des coûts et interagissant entre eux de manière subtile. Il est donc important de gérer chacun de ces canaux en faisant attention à ce qu’il n’y ait pas de cannibalisation entre eux, et qu’ils renvoient tous un message cohérent. Par exemple, si un mot clé est optimisé du point de vue du SEO, il n’est pas forcément nécessaire d’enchérir sur ce mot clé en recherche payante.
 
Au delà de l’interaction entre canaux digitaux, il reste important d’avoir conscience que le dernier canal utilisé n’est pas forcément celui qui a poussé l’utilisateur à venir sur le site. Dans ce sens, l’affichage papier et colonnes Maurice reste décisif dans la création d’une audience en ligne. Le soin apporté à tous les éléments visuels (programme de saison, affiches, etc.) donnant une identité forte à l’institution reste donc capital, sur un secteur où la recherche Google n’a pas valeur de prospection (l’utilisateur tape le titre de la pièce pour laquelle il souhaite réserver, ou le nom du théâtre).
 
Le principal canal naturel est la recherche organique : l’utilisateur arrive sur votre site en ayant tapé un mot clé sur un moteur de recherche. Le SEO (Search Engine Optimization) désigne l’ensemble des pratiques qui permettent à un site de faire remonter certaines pages sur les moteurs de recherche vis-à-vis de certains mots clés ou thématiques. Il se décline en trois pilliers : technique, net-linking et contenu.

Le site internet, point de contact primordial avec les publics

« Les sites web des institutions culturelles constituent de plus en plus une vitrine du musée, en France et à l’international, offrant une visibilité sur les collections, l’offre culturelle et les conditions de visite du musée. D’autant plus que ces dernières années, s’est généralisée la possibilité – voire l’obligation – de réserver ou d’acheter son billet de visite en ligne. Le site web du musée n’est donc plus simplement un outil de communication du musée en ligne, il s’intègre désormais dans le parcours de visite. »

Extrait de l’étude « Responsabilité numérique et musées français« 

En ce qu’il centralise énormément de flux, le site internet du lieu culturel est donc devenu un incontournable pour mener une stratégie d’acquisition clients efficace. C’est là que les mouvements d’allers et venues sont les plus complexes, mais c’est aussi là que « l’entonnoir » se rétrécit. L’étude du trafic des utilisateurs sur votre site internet vous permettra de confirmer vos intuitions quant aux parcours que vous avez dessinés. Votre meilleure alliée dans ces questionnements est la collecte et l’analyse de données.

Orcène à Florentin Aquenin : Quelles sont les données clés à récolter et analyser pour comprendre le parcours d’un utilisateur sur son site internet ?
Récolter des données de navigation n’est pas extrêmement difficile, de bons outils d’analytics existant en version gratuite et répondant largement aux besoins de sites à volume modéré de visites. Cerise sur le gâteau, il en existe même qui n’envoient pas les données de vos utilisateurs dans les data centers de grandes firmes américaines ! Certains systèmes de management de contenu proposent également des plugins permettant l’installation facile de ces mêmes outils de mesure d’audience.
 

La première donnée à analyser est le taux de rebond. Au niveau global et sur une période de temps définie, il s’agit du pourcentage de visites ne comportant pas plus d’une page vue, rapporté au nombre de visites total. En d’autres termes, quelle proportion de visites consistent en une seule page vue, où l’utilisateur a quitté le site directement sans poursuivre sa navigation. Regarder son évolution dans le temps donne une idée globale de l’attractivité du contenu du site, et indique si les utilisateurs franchissent le pas de la porte pour en découvrir plus.

Il est cependant beaucoup plus intéressant de regarder le taux de rebond par page (nombre de visites comptant seulement la page, rapporté au nombre total d’entrées par la page) ainsi que son évolution dans le temps. A noter que si un taux de rebond élevé sur une page spectacle est problématique, il n’est pas nécessairement alarmant de constater un taux de rebond élevé sur une page de contenu sans vocation à provoquer l’achat d’une place. Dans ce cas, ce sont plutôt des métriques d’engagement telles que le temps passé sur la page et le taux de défilement qui donneront une idée du niveau d’intérêt des utilisateurs pour le contenu en question.

L'adresse e-mail, une donnée incontournable

Une adresse e-mail pour un visiteur ou spectateur unique

L’or noir qui vous permettra de combiner toutes ces informations, ce sont les coordonnées garantissant l’unicité de votre visiteur : l’adresse e-mail. En effet, l’adresse e-mail vous permettra de recouper vos données de billetterie avec celles de votre newsletter, ainsi qu’avec les parcours des utilisateurs qui ont un compte sur votre site internet. Que ce soit au sein d’un CRM bien intégré ou pour extraire des analyses maison, l’adresse e-mail vous permettra de matérialiser les liaisons entre les utilisateurs.

Matérialiser et activer le parcours utilisateur

Reprenons notre parcours utilisateur, mais ajoutons-y des éléments nous permettant de suivre et recouper les comportements des visiteurs et spectateurs :

  • Les outils de web analyse évoqués par Florentin peuvent nous permettent d’en savoir plus sur les sources de trafic des utilisateurs, de connaître leurs mouvements généraux sur un site internet et éventuellement de savoir sur quoi ils cliquent.
  • Si votre billetterie est intégrée à votre site internet, les outils de web analyse peuvent également s’y appliquer. Sinon, vous aurez accès à certaines données, mais les principales informations concernant le phénomène de drop-out (sortie sèche) demeureront entre les mains de votre prestataire.
  • Une plate-forme CRM vous permettra, quant à elle, de suivre les actions significatives d’un utilisateur à partir du moment où il sera connecté à son espace personnel. L’adresse e-mail vous permettra alors de savoir si la première action de l’utilisateur a été de réserver une place pour un spectacle physique, ou de visualiser une captation en ligne. Très précieux pour structurer les parcours utilisateur et activer les bons leviers !
L'exemple de parcours visiteur ci-dessus, enrichi de chemins de conversion et de moyens d'analyse et de suivi

La billetterie, un tunnel de conversion à soigner

Nous voyons dans le schéma ci-dessus deux chemins de conversion dont les objectifs ne sont pas les mêmes. L’un, relativement court, a pour but la vente d’un contenu en ligne auprès d’un visiteur purement digital. L’autre, plus long, élabore le parcours visiteur ou spectateur jusqu’à déboucher sur la vente d’un billet physique. L’entonnoir se rétrécit. Nous parlions du site internet, nous arrivons maintenant dans un tunnel. Le tunnel de billetterie.

Bien sûr, le parcours visiteur ou spectateur est loin de s’arrêter à l’achat du billet. Il se poursuit dans le lieu physique. L’arrivée dans le monde « réel » pourrait d’ailleurs être accompagnée par une transition douce (envoi d’un e-mail en lien avec l’événement, appel téléphonique proposant une expérience singulière, etc). En tant que tunnel de conversion menant l’utilisateur numérique au lieu physique, la billetterie doit faire l’objet d’un travail particulièrement soigné.

Orcène à Florentin Aquenin : peux-tu nous donner trois conseils pour améliorer un tunnel de billetterie ?
  • La pédagogie : l’utilisateur doit savoir où il en est dans le parcours et quelles étapes lui restent encore à réaliser. Le one page n’est pas la réponse à tout, celui-ci pouvant désorienter l’utilisateur si les sauts entre section se font de manière brusque, sans animation montrant une section qui se déplie ou qui se replie. La pratique de la metro line est assez efficace dans ce sens. Si pour des raisons techniques, l’utilisateur doit être redirigé vers la plateforme d’un prestataire, le notifier à l’utilisateur afin de le tenir par la main jusqu’au bout du processus d’achat.
  • Limiter le travail de l’utilisateur : privilégier le moins de clics possible, notamment pour choisir et changer ses places sur un plan de salle. Lors de la création de compte, demander à l’utilisateur un minimum d’informations pour qu’il puisse rapidement finaliser sa commande.
  • Informer et rassurer l’utilisateur : à chaque étape, rappeler les informations clés de la commande (ex : prix, nombre de places) et rassurer l’utilisateur quant aux éventuelles possibilités de remboursement et d’échange. La fin de l’expérience n’étant pas le tunnel de billetterie mais bel et bien en salle, un message informatif sur les modalités d’accueil et de retrait des places est toujours bienvenu si celles-ci ne sont pas envoyées par email. 

La mutualisation des données entre acteurs culturels

Nous évoquions plus haut l’utilisation des outils de web analyse, et la déperdition d’informations liée à l’externalisation de la billetterie. Nous touchons ici aux limites actuelles du modèle de l’analyse des parcours utilisateurs par la donnée. Car dans ces deux cas de figure, les sets de données ne vous appartiennent pas. Au contraire, ils viennent nourrir les géants du secteur et profiter aux acteurs privés.

Quand on connaît les évolutions à l’oeuvre dans le secteur du marketing digital, on se dit qu’il vaut mieux réagir avant de devenir complètement dépendants de ces outils extérieurs. La solution réside dans les plate-formes de données partagées entre acteurs de la culture.

« Je milite depuis des années pour agir en faveur d’une mutualisation de la donnée. » nous dit Omer Pesquer. « Il faut se dégager de l’hégémonie des géants du web et développer des plateformes de partage entre acteurs culturels. D’autres numériques sont possibles, et le secteur de la Culture peut les expérimenter. » (Voir notamment l’intervention engagée d’Omer dans la lettre de l’Ocim n°194.) « Des modèles d’organisation centrale, comme celui de Paris Musées, commencent à être importés dans d’autres métropoles. Il est dommage que les politiques publiques n’incitent pas à plus de synergies communes. »

Un parcours utilisateur qui s'inscrit dans un faisceau d'habitudes

Nous l’avons vu, le parcours utilisateur peut tout à fait se concevoir dans l’objectif de faire venir ou revenir les publics in situ. Il gagnerait cependant à s’intégrer dans une logique transmédia, avec de multiples portes d’entrée. L’important est de veiller à ce que la conception actuelle du parcours utilisateur d’un lieu culturel, qui a tendance à former des barrières entre digital et monde physique, ne finisse pas par amplifier la perception d’une proposition trop élitiste.

De manière très concrète, la visualisation du parcours utilisateur commence par un schéma. L’achat du billet physique y constitue un pivot important, ce qui fait du site internet un point de contact primordial avec les publics et de la billetterie un tunnel de conversion à soigner tout particulièrement. L’adresse e-mail reste la donnée clé à récolter pour comprendre et activer les parcours des utilisateurs. Face à la gourmandise des géants du web, une solution se dessine dans la mutualisation des données entre acteurs culturels.

Un grand merci à Florentin Aquenin et Omer Pesquer pour leurs apports ! Dans notre prochain article, nous prolongerons notre réflexion sur les parcours utilisateurs en nous interrogeant sur la manière d’intégrer la pratique culturelle dans les nouvelles habitudes. Pour l’occasion, nous ferons appel à une spécialiste de la formation des habitudes !

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Marie Haerrig

Consultante et co-fondatrice d'Orcène

Double diplômée du Master of Science in Management de l’ESSEC Grande Ecole et du Master 2 Marché de l’Art de l’Ecole du Louvre, Marie déploie naturellement son parcours professionnel dans l’écosystème de la culture. Son expérience en gestion de projets culturels est fortement marquée par l’international. Marie a notamment exercé dans les domaines du marché de l’art, du mécénat, de la facture d’instruments de musique et de l’administration de compagnies de spectacle vivant, dans des fonctions de marketing, communication, recherche de fonds et contrôle de gestion. En 2019, elle entreprend avec Orcène de mettre la variété de ses compétences au service des porteurs de projets du champ culturel.