Reprise des lieux culturels : s’inscrire dans les nouvelles habitudes des publics

(Série de 10 conseils pour faire revenir les publics dans les lieux culturels : épisode 6/10)

Sixième article de notre série sur la reprise des lieux culturels ! Dans notre précédent conseil, nous abordions la formation des nouveaux parcours visiteurs et spectateurs, du digital à l’in situ. Mais pour qu’ils soient fiables et durables, ces nouveaux parcours doivent prendre en compte un phénomène plus profond. Il s’agit des mécanismes de formation des habitudes. Car en ces temps de confinement, déconfinement, reconfinement et redéconfinement, certaines habitudes ont eu la vie dure, tandis que d’autres se sont formées. Parmi les premières, la fréquentation des lieux culturels qui s’est trouvée empêchée par les interdictions d’ouverture. Parmi les secondes, la découverte de nouveaux modes de consommation des contenus culturels, notamment en ligne.

Difficile d’anticiper, à ce stade, à quel point les habitudes des publics vont se trouver changées par ce contexte fluctuant. Seule une observation à moyen terme des modes de fréquentation des lieux culturels nous permettra de déceler ce qui relève d’un changement ponctuel ou d’une évolution plus profonde. Toutefois, il est possible d’anticiper certains phénomènes, et de saisir les opportunités qui se cachent derrière ces transformations. Car pour s’inscrire dans les nouvelles habitudes, mieux vaut les saisir au moment même de leur apparition.

Pour étudier les nouvelles habitudes en formation, nous nous appuierons sur la récente étude des pratiques culturelles des français en temps de confinement, publiée par le Ministère de la Culture. Puis nous nous interrogerons, grâce à une étude publiée par Mc Kinsey, sur les changements d’habitudes au sens large et leurs implications potentielles pour le secteur culturel. Enfin, grâce à notre invitée Alice Loesch, Client Success Director chez Fifty, nous plongerons au cœur des mécanismes de formation des habitudes. Nous nous familiariserons avec les biais cognitifs et les nudges, et tenterons de dénicher des astuces pour participer pleinement de la formation des nouvelles habitudes des publics.

Les nouvelles habitudes, une opportunité pour les lieux culturels ?

L'enjeu autour de la formation des habitudes

Les mécanismes de formation des habitudes fascinent, tant du côté de la sociologie que des sciences comportementales. Par capillarité, la formation des habitudes est également devenue l’un des sujets favoris de la littérature de développement personnel. Pourquoi cette fascination ? Parce que la formation des habitudes est pleine de promesses. Il suffirait de 21 jours pour former une nouvelle habitude, bonne ou mauvaise. Avec un peu de volonté et de persévérance, chacun pourrait donc tourner ce phénomène à son avantage. Prendre de bonnes habitudes, c’est conscientiser certains gestes machinaux, pour décider d’agir et de les transformer en des cycles vertueux.

Les équipes marketing des entreprises du monde marchand, notamment en grande consommation, n’ont pas traîné à trouver nombre d’applications pratiques en lien avec la formation des habitudes. Elles s’attachent à les saisir dès leurs prémices, et à faire en sorte qu’elles s’installent sur le long cours. Exemple : à la rentrée 2021, c’est décidé, je me remets au sport. Tiens, voici justement une salle de sport qui propose un abonnementMais elles s’attachent aussi à stimuler la formation de nouvelles habitudes, en n’hésitant pas à créer des besoins, voire des réflexes. Exemple : instaurer le rituel de la crème hydratante tous les matins. (Rituel, Rituel… N’est-ce pas le nom d’une nouvelle marque de cosmétique ? Mh.)

Merci Orcène de révéler au grand jour ces conspirations, mais quel rapport avec la réouverture des lieux culturels et le retour des publics ?

Le covid-19, agent de chambardement des habitudes

En 2019 et 2021, toutes les habitudes de visite, d’ordinaire déjà si difficiles à déclencher, à encourager et à maintenir, ont été chamboulées. Visiter une exposition entre amis le samedi ? Plus possible. Se rendre au théâtre après le travail ? Terminé. Prévoir une séance de cinéma en famille le dimanche ? N’en parlons pas. Toute la profession s’en est arraché les cheveux. Et nous n’étions pas les seuls.

Car tous les modes de consommation se sont trouvés chamboulés. On a rarement vu un changement aussi drastique, une telle désorganisation des habitudes à si grande échelle, et en si peu de temps. Organisation du temps, du travail, de la scolarité, les repères se sont effacés. En l’espace d’un an, de nouvelles habitudes se sont formées, en réponse à un besoin naturel de stabilité. Et avec toutes les transformations et revirements de situation encore en cours, elles vont encore évoluer.

L’impatience de renouer avec le spectacle vivant l’emportera-t-elle ? Ou, au contraire, le public, habitué ces derniers mois aux écrans individuels et aux offres innombrables des plates-formes numériques, va-il hésiter à se réunir derrière des masques et à bonne distance, alors que le virus circule encore ? L’accentuation de la fracture entre les pratiques patrimoniales et numériques de la culture est un risque qu’il ne faut pas écarter.

Editorial : Pour la culture, une réouverture dans la défiance, Le Monde (3 mai 2021)

Trente jours ont passé, et il faut constater que la frénésie est retombée. Nombre de sites accueillent moins de monde qu’il y a un mois, alors qu’ils pourraient en recevoir plus.

Michel Guérin, Réouverture des lieux culturels : « Ce retour n’a pas le goût d’une rentrée », Le Monde (18 juin 2021)

Au lieu de penser que tout est perdu, chez Orcène, nous voulons croire qu’une belle opportunité de renouvellement se présente pour les lieux culturels. Celle de trouver sa place dans les nouvelles habitudes. Ainsi, ne nous décourageons pas d’avoir perdu des visiteurs ou spectateurs réguliers, au contraire : nous avons rarement eu une telle opportunité d’en attirer de nouveaux, et d’en faire à leur tour des habitués. Ainsi, nous, monde de la Culture, allons devoir trouver notre place entre deux nouveaux faisceaux d’habitudes : les nouvelles pratiques culturelles formées pendant le confinement, et les nouvelles habitudes qui se forment progressivement, à l’instant même où nous écrivons.

Les nouvelles pratiques culturelles en temps de confinement

Afin de déceler les transformations à l’oeuvre et d’imaginer comment nous y inscrire, commençons par nous pencher sur les habitudes qui ont changé pendant et depuis les confinements en matière de pratiques culturelles. Pour ce faire, l’étude publiée début 2021 par le Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles en temps de confinement nous sera précieuse. Quels en sont les principaux enseignements ?

Un essor des pratiques artistiques amateurs

« Les Français ont profité de cet épisode pour s’adonner aux pratiques culturelles en amateur, un engouement qui a rajeuni les pratiquants et réduit les écarts sociaux. »

Extrait du rapport « Pratiques culturelles en temps de confinement », Anne Jonchery, Philippe Lombardo

C’est l’un des grands enseignements de l’étude publiée par le Ministère de la Culture et de la Communication : les pratiques en amateur ont connu un essor en 2020-2021. Les individus se sont consacrés à ces activités de manière plus active. Ils ont intensifié leur pratique, avec en moyenne 2,5 activités par personne en 2020, contre 1,8 en 2018.

Ainsi, entre 2018 et 2020, le pourcentage d’individus de plus de 15 ans ayant eu une pratique de la musique ou du chant est passé de 11 à 16%, et de 7 à 13% pour la danse. Pour les arts graphiques, c’est un véritable boom : de 14 à 20%. Les activités scientifiques et techniques ne sont pas en reste. Le confinement a également signifié un réinvestissement des plus jeunes dans leur pratique amateur : le phénomène est particulièrement sensible sur les deux classes d’âge 15-24 ans et 25-39 ans.

Difficile d’avancer ce qu’il restera de ce phénomène une fois la crise passée. Il nous semble cependant que deux opportunités conjointes se dessinent pour les lieux culturels : rajeunir leurs publics en rebondissant sur cet engouement autour des pratiques amateurs. On notera que la Philharmonie de Paris s’inscrivait déjà dans cette lancée : en plus d’avoir accès à des concerts pour tous les publics, il y est possible de participer à des ateliers pour améliorer ponctuellement sa pratique artistique.

La pratique musicale adulte à la Philharmonie de Paris (photo ©Philharmonie de Paris)

« Grâce à une pédagogie adaptée, même les débutants, dès 15 ans, peuvent s’initier à la pratique instrumentale en groupe, et ce dans tous les répertoires, de la musique classique au jazz et aux musiques actuelles en passant par les musiques traditionnelles. »

Une hausse de la consommation de contenus culturels en ligne

L’étude publiée par le Ministère de la Culture a dévoilé que les consommations culturelles en ligne étaient globalement en hausse, notamment pour la consommation audiovisuelle et la pratique du jeu vidéo.

En revanche, l’écoute de musique, le visionnage de concerts ou de spectacles de danse et de théâtre ont stagné ou accusé des baisses de consultation. La consommation d’expositions, concerts ou spectacles (danse et théâtre) a accusé une baisse de huit points. Sauf chez les 60 ans et plus…

On a beaucoup entendu ces derniers temps que le numérique, par l’intermédiaire des captations et des expositions en ligne notamment, avait permis de toucher des publics éloignés que l’on n’aurait pas touchés d’ordinaire. Mais les résultats de l’étude du Ministère de la Culture semblent plutôt montrer que ces actions ont participé à maintenir le lien avec les publics habituels.

« Les seniors, déjà engagés dans la participation culturelle physique, ont profité du confinement pour s’approprier les ressources culturelles numériques (musées et spectacles en ligne). »

Extrait du rapport « Pratiques culturelles en temps de confinement », Anne Jonchery, Philippe Lombardo

Si des habitudes sont à recréer en lien avec le lieu physique, il semble dès lors que le moyen le plus efficace d’appeler le public des plus de 60 ans à revenir sur les lieux culturels soit de mettre en oeuvre une stratégie autour des contenus culturels en ligne : rappel des dates des spectacles physiques, invitation à prendre des places ou à s’abonner… 

Une réduction des clivages entre groupes sociaux

Paradoxalement, alors que le confinement printanier a contribué à creuser les inégalités sociales et économiques dans de nombreux domaines, les pratiques et consommations culturelles apparaissent à l’inverse moins clivées. Certains écarts sociaux et générationnels se sont même réduits pour nombre d’entre elles.

Ainsi, le visionnage de vidéos en ligne s’est nettement développé chez les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. En termes de classes d’âges, il semble que cette évolution à la hausse touche notamment les plus de 40 ans. La pratique des jeux vidéos quant à elle a également augmenté chez les employés et ouvriers.

Ces nouvelles habitudes de consommation de contenus en ligne laissent penser que les vidéos en ligne et les jeux vidéos pourraient représenter des outils intéressants pour surmonter les clivages sociaux autour des pratiques culturelles. Autrement dit, pour faire connaître à un employé de 40 à 50 ans la programmation de son lieu culturel, mieux vaut miser sur une chaîne YouTube que sur la captation d’un ballet disponible intégralement en ligne.

Les nouvelles habitudes de consommation et leurs implications pour la Culture

Au-delà de l’évolution des pratiques culturelles des français en temps de confinement, il nous a paru intéressant d’observer l’évolution des habitudes de consommation des français au sens large. Car la crise du covid-19 a également chamboulé les manières de consommer, faisant naître des tendances qui pourraient se confirmer avec le temps.

Une étude de Mc Kinsey publiée fin mars 2021 dévoilait que 60% des consommateurs avaient adopté de nouveaux comportements, testant de nouveaux magasins, de nouvelles marques, ou de nouvelles manières de consommer. 79% des sondés déclaraient que leurs routines ne reviendraient pas à la normale avant le deuxième semestre 2021. Tout lieu culturel se plaçant à l’écoute des transformations de la société pourrait donc se saisir d’une manière ou d’une autre de ces nouvelles habitudes en formation.

Une digitalisation drastique de tous les secteurs et un essor du commerce en ligne

90% des personnes interrogées dans l’étude de Mc Kinsey, et qui ont effectué des achats en ligne pendant les confinements, ont l’intention de maintenir ces nouvelles habitudes de consommation une fois la crise passée. Les implications sont réelles pour le milieu de la culture : 65% des personnes ayant consommé des produits culturels en ligne pendant la crise ont l’intention de poursuivre une fois la crise passée. En comparaison, 59% des sondés avaient l’intention de se rendre en extérieur pour une activité de loisirs !

Rendez-vous en diapositive 19 de la présentation ci-dessous. L’étude de McKinsey insiste sur le fait que l’industrie du divertissement aura fait la percée la plus notable et la plus durable vers la consommation dématérialisée. Tandis que la dualité semble s’installer entre divertissement en ligne et divertissement physique. Dans le conseil n°4 de notre série, nous évoquions justement la nécessité pour les lieux culturels de raisonner leurs offres en ligne et in situ, afin de s’adapter au mieux à ces nouvelles évolutions tout en optimisant leurs moyens.

Un autre phénomène récent, mais qui pourrait s’installer sur le long terme : l’achat depuis les réseaux sociaux et les sites de bonnes affaires. Des comportements de niche mais qui pourraient se développer très rapidement, avec des utilisateurs fidèles qui continueront de les utiliser après la crise. Il faudra donc se poser la question de la vente de places ou de billets par l’intermédiaire des réseaux sociaux (une fonctionnalité « shop » proposée par instagram), et du rôle des sites proposant coupons et réductions dans la stratégie de remplissage des salles. Par exemple, à Toronto, des deals spéciaux pour assister à l’exposition Van Gogh de l’Atelier des Lumières ont été proposés sur le site de réductions Groupon !

Des habitudes de consommation plus conscientes et réfléchies

La crise du covid-19 a occasionné de profonds changements dans la manière de consommer, en particulier chez les générations Z et les millenials. Les consommateurs ont changé leurs habitudes en appliquant principalement à leurs choix de nouveaux critères de proximité et de rapport qualité-prix. Par ailleurs, une véritable attente s’est exprimée quant à la notion de responsabilité des marques et commerces fréquentés. Mais si cette étude concerne principalement le secteur marchand, ces problématiques pourraient très bien s’appliquer au secteur culturel.

Accessibilité et proximité

61% des consommateurs qui ont changé leurs habitudes l’ont fait pour des raisons d’accessibilité et de proximité des services. Pour un lieu culturel, ces récentes évolutions argumentent en faveur des stratégiques de recentrage géographique et de proximité avec les publics (cf notre conseil n°3).

Partage de valeurs

Si des consommateurs ont changé leurs habitudes, 28% l’ont fait par conviction, donc dans une démarche consciente :

  • 20% l’ont fait pour soutenir des commerces locaux. Cette tendance appuie à nouveau les stratégies en faveur d’un recentrage géographique des activités vers les publics de proximité.
  • 7% l’ont fait pour des raisons de sensibilité à l’environnement. Si les consommateurs s’attachent à ce que les marques adoptent une démarche écologique responsable, il n’y a pas de raisons pour qu’ils ne s’attendent pas la même chose de la part d’un lieu culturel qu’ils fréquenteraient.
  • 3% ont changé d’habitudes de consommation parce qu’ils se sentent en partage de valeurs avec l’enseigne ou la marque nouvellement fréquentée. Connaissez-vous les valeurs de votre lieu culturel, outre ce que sa programmation véhicule ? Sont-elles évidentes et partagées largement par vos équipes, et comprises des visiteurs ?

Il est d’autant plus intéressant de constater que, pour la nouvelle génération Z, ces trois derniers attraits sont plus important que celui de la nouveauté des expériences proposées. Proximité, écologie, partage de valeurs, trois pistes pour s’adresser à cette nouvelle génération que l’on cherche à accueillir davantage dans les lieux culturels ?

Le projet de végétalisation du patio aux Plateaux Sauvages dans le cadre de l'opération "Plateaux verdoyants", © Soline Portmann / Fresque Eltono

Un changement des modes de vie et de travail

Les lieux culturels et l'essor du télétravail

Sans grande surprise, l’étude de McKinsey dévoile que 26% des sondés ont travaillé davantage de chez eux. 63% s’attendent à retourner à leurs précédentes habitudes de travail une fois la crise passée. 63%, cela signifie cependant que 37% d’entre eux n’y reviendront pas. Toujours d’après l’étude de McKinsey, 58% des français interrogés témoignaient de changements en cours dans leur style de vie, avec notamment des déménagements. Dans la réorganisation d’un lieu culturel, ces nouvelles habitudes revêtent une grande importance !

  • Une personne qui allait au théâtre ou au cinéma à la sortie du travail changera-t-elle ses habitudes pour fréquenter des lieux plus proches de son domicile ?
  • Comment adapter ses horaires et modalités de visite à la nouvelle flexibilité, mais aussi aux nouvelles obligations des salariés en télétravail ?
  • Comment les lieux culturels en région s’adapteront-ils aux habitudes et attentes des ménages fraîchement arrivés ?

Des solutions innovantes existent déjà, et les lieux qui en sont à l’origine ont précédé l’apparition de la crise. Il s’agit des.. tiers-lieux. A l’origine plates-formes de coworking, ils prennent aujourd’hui la forme de lieux hybrides qui proposent à la fois des espaces de télétravail et des activités en tous genres… dont des activités culturelles. Un appel à projet de la région PACA publié en 2020 avait d’ailleurs pour objectif de développer des lieux alliant travail, créativité, entraide, culture et inclusion sociale, notamment en zone rurale…

Le tiers-lieu Bliiida à Metz inclut un espace de coworking, et organise des événements comme le Festival FuturOKlatsch qui "projette le spectateur dans le futur grâce à des performances artistiques et des conférences".

S'inscrire dans la création des nouvelles habitudes des publics

L'habitude, un phénomène en trois temps

Afin de décrypter les mécanismes de formation des habitudes, nous sommes allées à la rencontre d’une professionnelle de la question : Alice Loesch, Client Success Director chez Fifty, leader du eDoing. Alice Loesch se passionne pour les sciences comportementales qui étudient la manière dont nos cerveaux prennent des décisions, afin de mieux comprendre ces mécanismes et exploiter ce potentiel.

« Les habitudes suivent toutes une même boucle en trois parties, décrite dans le livre Le Pouvoir des Habitudes de Charles Duhigg : un signal, une routine, et une récompense. Le signal est le stimuli externe ou interne activant la routine. La routine est l’action déclenchée en réponse au signal. Enfin, la récompense est le sentiment de satisfaction perçue suite à l’action. » nous explique Alice Loesch.

Dans le cas d’une visite dans un lieu culturel, Alice Loesch identifie nettement :

  • un signal : la création d’un engagement avec les publics,
  • une routine : la possibilité de prendre sa place immédiatement et rapidement, puis de préparer sa visite et d’interagir en amont (en poussant, par exemple, l’aspect interactif d’une prochaine représentation théâtrale). L’aboutissement de la routine : la formule d‘abonnement.
  • la récompense : la convivialité du moment.

Le rôle des biais cognitifs et des nudges dans la formation des habitudes

Afin de ne pas avoir à mesurer sans arrêt la complexité et les ramifications tentaculaires de chaque micro-action, notre cerveau est prompt à former des raccourcis cognitifs, qui débouchent souvent sur des biais cognitifs. Ces derniers ont pour conséquence une certaine distortion de la réalité.

« A l’origine, les biais cognitifs sont apparus pour nous aider : ils simplifient notre environnement pour nous permettre de nous y adapter au mieux, par exemple en nous aidant à ignorer le superflu pour prendre des décisions plus rapides. Mais dans un monde où nous devons sans cesse nous réinventer, désapprendre et réapprendre, ils deviennent parfois des freins. » nous explique Alice Loesch.

Si le biais cognitif entérine des chemins de pensée et d’action, le nudge nous aide à les changer. Une fois les biais cognitifs identifiés et compris, il est possible de les tourner à son avantage grâce à ces fameux nudges, ou « coups de pouces ». En d’autres termes, le nudge, c’est ce qui peut entériner le passage à l’action.

« La théorie du nudge, développée par les sciences comportementales, montre comment de simples incitations nous aident à aller des bonnes intentions à l’action. C’est un outil qui nous aide à utiliser nos biais à notre avantage. » nous dit Alice Loesch.

Le biais d'affordance, un obstacle à la reprise des lieux culturels

Alice Loesch nous révèle un mécanisme très précieux à connaître dans le contexte de reprise des lieux culturels : le biais cognitif qui découle du concept d’affordance. L’affordance, nous dit Alice, c’est l’ensemble des relations naturelles qui lie un sujet au monde qui l’entoure.

« Le cerveau pense automatiquement à toutes les actions possibles autour d’un contexte, mais le biais d’affordance a pour conséquence que seule une option gagne par rapport aux autres. Il faut donc faire en sorte que la sortie culturelle ne perde pas face aux autres sollicitations de la reprise, comme par exemple la restauration. Il faut au contraire l’embarquer dans les nouveaux automatismes. »

Alice Loesch pour Orcène

Et pour cause ! Toujours d’après l’étude de Mc Kinsey, le top 3 des activités les plus attendues étaient :

  • le dîner au restaurant (48%),
  • les retrouvailles avec la famille (43%),
  • les retrouvailles avec les amis (43%).

Devant les activités culturelles en salle (19%), qui concernent surtout la génération X. Dans les esprits, il s’agit d’activités séparées. Mais ce biais peut  être surmonté !

« Pour recréer des habitudes de fréquentation chez les publics, il ne suffit pas de se dire que les gens vont revenir. Il faut recréer des liens entre les activités. Pour éviter le phénomène de concurrence entre « je vais au théâtre » ou « je vais au resto », créez des partenariats avec les restaurants, mettez en valeur en quoi cette sortie culturelle constitue aussi moment de retrouvailles familiales et / ou amicales, et adaptez vos horaires. »

Alice Loesch pour Orcène

Pas forcément besoin d’avoir une buvette au sein de son lieu culturel. Voici le café du théâtre, qui jouxte… un théâtre. Comme c’est commode !

Interroger ses propres habitudes en tant qu'institution culturelle

Les changements des pratiques culturelles, des habitudes de consommation et des mécanismes de prise de décision des publics sont en cours, et ils sont bien partis pour s’installer. Chez Orcène, nous pensons que la société ne se portera que mieux si les lieux culturels choisissent de saisir ces évolutions à bras-le-corps. Ce qui leur demande de grandes capacités d’adaptation. Or, c’est maintenant qu’il faut agir. Une fois les habitudes prises et installées, il sera terriblement difficile de s’y implanter à nouveau.

Dès lors, il convient de s’interroger sur un biais cognitif particulier. Pas du côté des publics cette fois, mais bien du côté des organisations : le biais de statu quo. Autrement dit, quand la peur de changer empêche d’essayer. Afin de mener cette transition au sein des lieux culturels, nous vous conseillons chaleureusement la série d’articles sur les nudges proposée par Alice Loesch dans Les Echos Start. De quoi enclencher des cycles vertueux au sein des organisations !

Dans notre prochain article sur la reprise des lieux culturels post-covid, nous évoquerons l’importance de soigner l’expérience visiteurs et spectateurs, ou comment déjouer le biais cognitif de représentativité qui voudrait faire croire qu’un musée est automatiquement ennuyeux ou un spectacle forcément trop long !

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Marie Haerrig

Consultante et co-fondatrice d'Orcène

Double diplômée du Master of Science in Management de l’ESSEC Grande Ecole et du Master 2 Marché de l’Art de l’Ecole du Louvre, Marie déploie naturellement son parcours professionnel dans l’écosystème de la culture. Son expérience en gestion de projets culturels est fortement marquée par l’international. Marie a notamment exercé dans les domaines du marché de l’art, du mécénat, de la facture d’instruments de musique et de l’administration de compagnies de spectacle vivant, dans des fonctions de marketing, communication, recherche de fonds et contrôle de gestion. En 2019, elle entreprend avec Orcène de mettre la variété de ses compétences au service des porteurs de projets du champ culturel.