Réouverture des lieux culturels : miser sur la proximité géographique

(Série de 10 conseils pour faire revenir les publics dans les lieux culturels : épisode 3/10)

Après avoir abordé dans nos deux précédents articles la nécessité de rassurer ses publics, puis de communiquer adroitement autour de la réouverture de votre lieu culturel, nous vous proposons cette semaine un troisième conseil : miser sur la proximité géographique. Jouer la proximité, c’est bien plus que s’inscrire dans une tendance générale à la consommation locale et à l’économie circulaire. Aussi verrons-nous, dans ce troisième conseil, pourquoi et comment opérer un recentrage autour de votre lieu culturel.

Cette stratégie comporte des avantages : en sus de renforcer votre ancrage territorial, elle améliore votre présence auprès de publics éloignés (car l’éloignement n’est pas forcément proportionnel à la distance physique), et peut même vous aider à équilibrer un modèle économique en difficulté. Parmi ces enjeux stratégiques, un autre, plus court terme, se dessine : dans un contexte de dématérialisation forcée de votre offre culturelle, il s’agit de faire ressurgir le lieu physique, grand paria de la saison 2020-21, comme une évidence.

S'adresser au public de proximité

Des conditions de déplacement encore incertaines

Si les week-ends et voyages reprennent peu à peu avec la levée des restrictions kilométriques, les grandes escapades ponctuées de sorties culturelles ne sont pas encore tout à fait à l’ordre du jour. Alors, en attendant de pouvoir ratisser large, cultivez votre potager.

C’est la stratégie adoptée par le Musée du Louvre, qui, ayant perdu l’essentiel de ses visiteurs étrangers, a choisi de focaliser son énergie sur les français qui représentaient jusqu’ici 20% de son visitorat (source : le Quotidien de l’Art du mardi 26 janvier 2021). Et pour cause, en 2019, 1,47 milliards de personnes avaient voyagé à l’étranger, contre 394 millions en 2020 (source : Challenges), provoquant une chute drastique des revenus de billetterie pour les lieux culturels.

Capture d'écran de la newsletter du Musée du Louvre du 13 mai 2021, qui avait pour expéditeur "La Joconde" et titrait "Vous m'avez tant manqué"

Une décentralisation des flux touristiques

Or, la force d’attraction locale n’est pas l’apanage des grandes institutions, bien au contraire. Les musées et salles de spectacle situées en régions pourraient bien tirer leur épingle du jeu. Voyons le revirement stratégique de Airbnb, par exemple, qui nous renseigne beaucoup sur les flux touristiques à venir : 

« Les gens voyagent quand ils veulent grâce au télétravail, dans des zones urbaines moins denses et surtout, ils restent beaucoup plus longtemps. »

Brian Chesky, co-fondateur et directeur de Airbnb (source : article de Challenge(s) du 25/05/2021)

Ainsi, un nouvel équilibre entre tourisme et public local pourrait prochainement voir le jour. Des institutions culturelles comme le MUCEM ou la Piscine se démarquent déjà par leur popularité et leur rayonnement. Elles pourraient même confirmer leur position en tant que destinations culturelles et touristiques à part entière. Certaines institutions sont déjà passées maîtresses dans l’art de capter les publics locaux. C’est le cas du Mac VAL à Vitry-sur-Seine, dont 70% des visiteurs est originaire du Val-de-Marne. « C’est en soignant d’abord son public local qu’un musée peut développer le tourisme et non l’inverse » , renchérit Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens (source : le Quotidien de l’Art du 4 juin 2020).

Côté spectacle vivant et musiques actuelles, les festivals sont particulièrement en mesure de concilier séjour touristique et public de proximité : en plus de mettre en valeur des patrimoines locaux et parfois ruraux, ils événementialisent la reprise culturelle jusqu’au Bout du Monde.

Plan d'accès au Bout du Monde, sur la presqu'île de Crozon

L'offre culturelle en ligne, un premier rapprochement

C’est un constat largement partagé par les professionnels : les contenus culturels en ligne ont permis de toucher des publics parfois très éloignés. On peut le comprendre au sens d’un éloignement géographique causant un déficit d’accessibilité, ou au sens d’un éloignement social à l’origine de pratiques culturelles différentes (mais pas inexistantes !). Le mode de diffusion en ligne aurait ainsi permis de :

  • rendre accessible des contenus pour des publics géographiquement éloignés, que ce soit de la proposition de votre institution culturelle en particulier (cf les visites guidées en ligne du Musée de la Grande Guerre de Meaux) ou de toute institution culturelle au sens large,
  • générer l’envie de fréquenter un lieu culturel à la reprise pour des publics qui n’en avaient pas l’habitude (cf l’exploration de nouveaux usages numériques par les classes populaires). Une intuition à travailler et confirmer dans les mois qui viennent.

Cependant, la digitalisation des contenus culturels opère simultanément une autre forme de rapprochement. Elle place de fait toutes les institutions culturelles productrices de contenus dans une position de concurrence nationale, voire internationale. Nous explicitions ce phénomène dans un précédent article, en prenant l’exemple de la compétition exacerbée entre les offres en ligne des grandes maisons d’opéra. C’est pourquoi, en attendant de raisonner vos contenus digitaux et votre offre in situ (ce qui fera l’objet d’un article spécifique), il est important de remettre en valeur le lieu culturel comme une source d’expérience à part entière.

Les éloignés du numérique

De plus, il existe des types publics qui, bien qu’ils ne soient pas éloignés géographiquement, sont pour leur part éloignés du numérique. S’ils peuvent potentiellement avoir fréquenté des lieux culturels avant la crise, ces publics, victimes de la fracture numérique, ont été longtemps privés de contenus culturels. C’est pourquoi il faut absolument conserver la possibilité de réserver sa place in situ, et prévoir des quotas de billetterie sur place. Même si cela nécessite d’ajuster le calcul de la jauge de l’établissement.

« Digital by default ? Well, I am pencil by default ! »

Daniel Blake in I, Daniel Blake de Ken Loach

Plus que tout, c’est au niveau du resserrement des liens sociaux distendus que le pari de la proximité géographique apporte le plus rapidement les premières solutions. Et en matière de réseau de solidarité local, chaque lieu culturel, du tiers-lieu rural au cinéma de quartier, en passant par le musée municipal, a sa carte à jouer. Il est donc important d’opérer un premier recentrage géographique en ce qui concerne les visites physiques, en ciblant en premier lieu les publics de proximité. Ainsi se dessine un calendrier de réouverture par cercles de rayonnement, qui aura également le mérite de vous éviter une surcharge de fréquentation.

La Culture à la rencontre des publics de proximité

Jacadi a dit moins de 10 km

La contrainte des 10 km, couplée à l’interdiction d’accès aux lieux culturels, a poussé la part – subventionnée – des institutions culturelles à sortir de leurs murs pour investir des lieux proches, où des semblants de programmation étaient encore autorisés. Cathy Losson, chef du service éducation du Musée du Louvre, confirme cette tendance : « Le confinement nous a incités à être plus véloces sur les actions hors-les-murs (…). Nous les étendons à tous les lieux autorisés. » (Source : Le Quotidien de l’Art.)

Ainsi, le Collectif Sauf le dimanche a conquit par surprise des salles de classe de primaire avec son spectacle « Ma maîtresse ? », avec la complicité du Théâtre de l’Usine. Ce sont 18 classes de 12 établissements qui ont bénéficié de cette intervention loufoque. Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou Metz va même ENCORE plus loin, en installant une salle de classe directement dans le musée. Fallait y penser.

A l’ACB, scène nationale de Bar-Le-Duc implantée dans un territoire rural, on imagine même six expo-thématiques pouvant être accrochées partout. De quoi brouiller encore davantage les frontières, cette fois entre musée et théâtre.

La folle envolée des programmations hors-les-murs

Le phénomène s’amplifie avec la généralisation des programmations hors-les-murs, qui s’emparent pleinement de tout espace extérieur disponible :

  • Le Théâtre de la Ville n’a pas hésité à construire deux scènes en extérieur près de l’espace Pierre Cardin. « Elles proposeront, en plein air, des concerts, spectacles, rencontres, ateliers, etc. » annonce Emmanuel Demarcy-Mota.
  • Le TNS de Strasbourg réitère sa « Traversée de l’Eté« , avec une programmation de spectacles « conçus pour l’itinérance » .
  • Et de véritables solutions itinérantes se développent pour aller à la rencontre des publics, notamment dans l’Ouest avec le Kultur Truck, porté par le Théâtre des Tarabates, qui compte proposer des « impromptus artistiques ».
Les musées ne sont pas non plus en reste pour investir l'espace urbain.

Une nouvelle ère pour les Arts de la Rue ?

Avec toutes ces propositions hors-les-murs, on oublierait presque qu’un pan entier du secteur du spectacle vivant dispose d’une expertise précieuse sur la création en espace public. Car n’est pas artiste de rue qui veut !

Les artistes de rue cultivent la relation directe avec le spectateur dans la fortuité de la rencontre. Ils favorisent la médiation directe, avec des spectacles participatifs et une porosité recherchée entre amateurs et professionnels. Il faut mettre en valeur cette dimension populaire, et cette prise de risque.

Yannick Toussaint, directeur de la Compagnie Histoire d’eux et co-président de la FAREST (Fédération des Arts de la Rue Grand Est), qu’accompagne actuellement Orcène autour de sa réflexion stratégique.

Les Arts de la rue sont l’occasion d’une réappropriation de la rue et de l’espace public par les habitants, qu’ils font agir directement à travers une création artistique sur le territoire.

« Les arts de la rue vont permettre d’apporter une perception heureuse et non-anxiogène de l’espace public, pour déstresser les gens. »

Mathilde Labé, programmatrice d’Hop Hop Hop, Festival des arts de la rue à Metz, dans La Semaine

Retrouver l'existence physique du lieu culturel

Les lieux culturels aveugles, fermés, délaissés. C’était le triste portrait que peignait notre compte Instagram, dénonçant une situation de fermeture généralisée. Entre la programmation digitale et l’itinérance hors-les-murs, pas facile d’attirer à nouveau l’attention sur son lieu physique et d’y guider un public encore dubitatif.

C’est pourquoi le lieu physique doit se rappeler au bon souvenir de ses visiteurs, afin d’être à nouveau entendu comme un espace vivant, pleinement intégré dans l’écosystème qui l’entoure. Avant toute chose, il doit pouvoir être re-situé physiquement dans son environnement.

Activer la géolocalisation

Paradoxal ? Le référencement physique de votre lieu culturel doit commencer en ligne, afin d’apparaître sur Google Maps par l’intermédiaire de votre fiche Google My Business. Mais aussi, et c’est nouveau, sur l’application Pass Culture. Parce que les jeunes de 18 ans qui le téléchargent disposent d’une option de géolocalisation qui leur permet de situer les lieux culturels participant à proximité.

Attirer l'attention et guider vers le lieu

Signalétique, affiches, lumières, guirlandes, couleurs, musique, événements débordant sur l’extérieur ou débordant vers l’intérieur… Il s’agit dorénavant d’être à nouveau visible et repérable dans l’espace public. Pour ce faire, vous pouvez vous inspirer des nombreuses techniques de street et de guerilla marketing, et laisser parler votre créativité. Sur ce sujet, les compagnies de spectacle vivant qui ont déjà pratiqué le OFF d’Avignon ont clairement un temps d’avance.

Les marquages au sol, par exemple, sont entrés dans les habitudes avec la crise sanitaire. Ils garantissent les distances de sécurité et permettent d’orienter les flux. Ils pourront donc servir à guider à nouveau les pas de vos visiteurs vers votre lieu physique, surtout si ceux-ci n’ont pas emprunté ces chemins depuis longtemps.

La fresque « Ils attendent l’ouverture » à l’Artistic Théâtre permet d’attirer à nouveau l’attention sur le lieu physique. « J’ai eu envie de redonner vie aux abords du Théâtre et d’évoquer l’attente des spectateurs, de façon très visuelle. » dit Marion Duhamel, sa créatrice.

Le recentrage géographique comme levier du modèle économique

De manière générale, le recentrage géographique peut se concevoir comme une nouvelle stratégie de retour à l’équilibre des modèles économiques des lieux culturels. Car dans la course à l’augmentation des revenus d’activités et des tiers financeurs, des modèles parfois peu vertueux se sont développés. Reposant sur l’augmentation des recettes de billetterie, grâce au tourisme international pour les musées, ainsi que sur la course aux mécènes de grande envergure, ces modèles impliquent parallèlement une montée en flèche des coûts associés : organisation d’expositions blockbusters, appel à des formations musicales ou à des compagnies internationales…

Tandis que miser sur la proximité géographique peut permettre d’actionner des logiques partenariales différentes, de faire appel à des réseaux d’associations et de bénévoles, et de réduire drastiquement les coûts de tournées d’artistes et de prêts d’œuvres. On voit ainsi fleurir des programmations 100% francophones dans certains festivals, ou encore de nouvelles méthodes de curation d’exposition, alimentées par les réserves muséales disponibles à proximité (un article de Sophie Rahal à lire de toute urgence).

Le grand retour des publics de proximité

Et voici qu’emportées par notre enthousiasme pour l’étude des modèles économiques des organisations culturelles, nous nous éloignons de notre sujet du retour des publics in situ. Vous l’aurez compris, cet enjeu de proximité géographique est central pour la reprise des lieux culturels. Cependant, si certains conseils peuvent être mis en oeuvre immédiatement, d’autres nécessitent une réflexion stratégique approfondie et du temps pour mettre en place de nouveaux réflexes et modes de fonctionnement. Sachez qu’Orcène peut vous aider dans cette tâche. Et afin de creuser la question du rapprochement par le digital, on se retrouve la semaine prochaine avec notre conseil numéro 4 : raisonner son offre en ligne et son offre in situ.

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Marie Haerrig

Consultante et co-fondatrice d'Orcène

Double diplômée du Master of Science in Management de l’ESSEC Grande Ecole et du Master 2 Marché de l’Art de l’Ecole du Louvre, Marie déploie naturellement son parcours professionnel dans l’écosystème de la culture. Son expérience en gestion de projets culturels est fortement marquée par l’international. Marie a notamment exercé dans les domaines du marché de l’art, du mécénat, de la facture d’instruments de musique et de l’administration de compagnies de spectacle vivant, dans des fonctions de marketing, communication et contrôle de gestion. En parallèle d’une activité d’autrice et metteuse en scène, elle entreprend avec Orcène de mettre la variété de ses compétences au service des porteurs de projets du champ culturel.