Réouverture des lieux culturels : communiquer pour faire revenir les publics in situ

(Série de 10 conseils pour faire revenir les publics dans les lieux culturels : épisode 2/10)

Deuxième conseil de notre dossier spécial portant sur la réouverture des lieux culturels. Dans notre précédent article, nous recommandions de commencer par rassurer vos publics. Naturellement, nous en venons à la question de la communication. Car pour rassurer, rien ne vaut une bonne discussion autour d’une boisson chaude. (Ah, c’est interdit.) Toujours est-il que, malgré la distance, les confinements successifs ont confirmé que la communication à sens unique n’existait pas. Communiquer, c’est prendre en compte son interlocuteur. Autrement dit, établir un dialogue.

A propos de dialogue ! Cette semaine, nous avons le plaisir de vous proposer un double point de vue, grâce à la précieuse contribution de Jérôme Ramacker (L’Artisan Communicateur, Osez le Marketing Culturel). Au cours d’une interview riche en enseignements, Jérôme nous partage très généreusement son expertise en communication culturelle. Un grand merci !

Du futur de la communication culturelle

Orcène à Jérôme Ramacker : L'épisode covid va-t-il changer durablement notre manière de communiquer autour d'un projet culturel ? Ou sa fin progressive annonce-t-elle un retour à la normale ?

Jérôme Ramacker : Indéniablement, certaines informations de sécurité sanitaire rejoindront la liste des consignes de base pour tout événement culturel, au même titre que les objets interdits (drogues, sac à dos, caméscope…) ou les recommandations écologiques (transport durable, gourde, déchets…) qui font déjà partie de nos communications. On devra peut-être argumenter davantage sur l’intérêt de participer physiquement à un projet culturel, alors que certains publics ont basculé leurs pratiques en numérique. On passera par une période de transition où il faudra les rassurer, leur redonner confiance. Avant un retour à la normale, c’est à dire quelque chose de similaire mais différent.

Ce qui va changer pour tout.e chargé.e de communication, c’est l’obligation d’anticiper un éventuel reconfinement. Savoir aussi que désormais,  si un plan de communication peut être stoppé du jour au lendemain, cela ne signifie pas l’arrêt de la relation avec les publics. J’espère sincèrement que les autres membres de l’équipe ne verront plus la communication comme la dernière étape promotionnelle de leur projet. Mais comme une partie prenante de sa conception.

Nous sommes ouverts. Oui, et ?

En mai 2021, tout l’immense effort déployé autour de la communication semble se réduire soudainement à un message unique : « Nous sommes ouverts ». Malheureusement, dans le bruit occasionné par toutes les réouvertures simultanées, le clamer haut et fort ne suffira pas à retenir l’attention des visiteurs et spectateurs. C’est bien simple, tout le monde est ouvert.

Se mettre à la place de vos publics, visiteurs et spectateurs, c’est commencer par comprendre qu’ils sont constamment submergés de sollicitations. La bataille de l’attention s’est décuplée sur les réseaux sociaux depuis un an et s’apprête à réinvestir le monde physique.

« Par l’usage répété de nos smartphones, nous sommes tous victimes de notre faible capacité d’attention qui se limite à 9 secondes (contre 8 pour le poisson rouge). Ces 9 secondes constituent le nerf de la guerre des entreprises numériques qui n’hésitent pas à recourir aux neurosciences pour mieux les capter. »

Bruno Patino, La Civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention

Alors, face à ces entreprises numériques tentaculaires, chacun se demande comment sauvegarder son temps de cerveau disponible, et à qui le confier. « A nous ! » s’exclame d’une seule voix le monde de la culture, et il a raison. Il sait qu’il œuvre pour le bien commun. Mais comment se faire entendre ?

Intitulés de newsletters de lieux culturels annonçant leur réouverture (expérience menée avec la complicité de mes ami.e.s)

Souligner ce qui vous rend unique

Quand on remplit une mission de service public, on est évidemment tentés d’ouvrir au plus large, de s’adresser à tous.tes sans faire de distinction. Auquel cas, c’est à vous de vous distinguer. Au milieu du brouhaha général, il s’agit d’aider vos publics à identifier dans quelle mesure vous pouvez répondre à leur besoin d’une manière qui vous est propre et originale. Misez sur ce qui vous différencie, en continuant de penser la communication comme une partie intégrante de votre projet. « Au-delà de l’injonction à se réinventer, il importe selon moi de se recentrer. » explique Jérôme Ramacker. Une clarification de votre positionnement peut, à ce titre, se révéler fort utile, ainsi qu’un accent sur votre programmation.

C’est bien vu, MK2 ! La chaîne de cinéma :

  • utilise sa charte graphique reconnaissable entre mille,
  • trouve une accroche qui rappelle habilement sa réouverture sans la citer,
  • souligne 2 fois sa spécificité de « cinéma »,
  • rappelle que l’expérience en salle est unique,
  • glisse une blague de cinéphiles sur l’année perdue afin de s’attirer la complicité du lecteur,
  • attire des publics jeunes,
  • mise sur l’effet promo.
Tout ça en un post. Pas mal. Pas mal du tout.

Capitaliser sur les liens créés pendant les confinements

C’est le moment de capitaliser sur le lien maintenu, développé ou créé avec vos publics lors de tous ces confinements successifs. Car en développant à marche forcée votre communication numérique, votre auditoire s’est développé sur les réseaux sociaux (à l’image de la Comédie Française). « Le réseau a joué son rôle, pour une fois, loin des considérations mercantiles et autres algorithmes de ciblage », note sagement Jérôme Ramacker. La réouverture ne doit pas tomber comme un coup de couperet qui mettrait fin au dialogue avec cette communauté si chèrement acquise. 

La Culture du lien. (Il fallait qu’on la fasse.)

Or, une communication est d’autant plus efficace et personnalisée que l’on sait à qui l’on s’adresse. Ça tombe bien, les tableaux de bord fournis par les plateformes de réseaux sociaux, votre support de newsletter, Google Analytics ainsi que votre billetterie en ligne (si toutefois vous l’avez utilisée pour vos événements digitaux) ont dû vous donner une idée plus précise de ces nouvelles cohortes d’utilisateurs, de leurs centres d’intérêts et de leur niveau engagement. « Au sortir du confinement, il sera intéressant de revenir sur les actions menées qui ont retenu l’attention. » abonde Jérôme Ramacker. Les mots d’ordre de la stratégie de communication sont plus que jamais d’actualité : cibler et segmenter ses interlocuteurs, mesurer et évaluer ses actions, adapter sa communication.

Orcène à Jérôme Ramacker : Que faire quand on s'est engagé sur un nouveau réseau social pendant les confinements et qu'on se rend compte à la reprise qu'on n'a plus le temps de créer du contenu spécifique ?

Jérôme Ramacker : C’est effectivement une crainte que j’ai perçue au cours de récents webinaires. Alors que de nombreuses institutions culturelles ont fait preuve de créativité durant le confinement, elles prévoiraient déjà d’abandonner cette dynamique par manque de temps ou de moyens. Il serait judicieux d’évaluer l’impact de ce nouveau réseau social sur l’ensemble du projet. Créer du contenu spécifique ne fait pas que pallier un manque d’actualité ; cela permet de proposer de nouveaux partenariats, de toucher de nouveaux publics ou de renforcer les interactions en interne.

Il est possible cela dit de recycler d’anciens contenus sur un nouveau réseau social (qui offre justement d’autres fonctionnalités ou façons de communiquer). Les lignes éditoriales pourraient être revues selon les nouvelles contraintes, avec une périodicité moins intense ou un type de contenus moins énergivore mais qui permettrait de garder le contact avec les publics connectés. Et si la sentence est l’arrêt pour une durée indéterminée, il est important de l’annoncer à la communauté d’abonnés et de followers. Comme pour tout projet, le lancement compte autant que la fin. Ne pas oublier donc de remercier le public, de lui donner d’autres moyens pour interagir… et de retirer le pictogramme sur son site web qui renverrait vers un lien obsolète. La communication culturelle est relationnelle, ne l’oublions pas.  

Préciser ses objectifs pour adapter sa stratégie de contenu

Clic gratuit contre visite payante

Adapter sa communication, disions-nous. Afin d’améliorer la transmission de son message, certes. Mais aussi afin de répondre à ses objectifs. Récapitulons : nous connaissons notre positionnement, nous connaissons nos cibles. Mais quel est le but de notre communication ? Si vous lisez cet article, c’est qu’a priori vous cherchez à faire revenir vos publics dans votre lieu culturel. Cela représente un chambardement non négligeable dans votre stratégie.

Cette année, l’objectif partagé était probablement de garder le lien (Sherlock Holmes que nous sommes), puis de faire découvrir vos nouveaux contenus digitaux. Aujourd’hui, l‘objectif a changé. L’action attendue en réaction de votre communication (ou call to action) n’est plus la même. Exemple : depuis un an, « La comédie continue en ligne » invite les spectateurs à se rendre… en ligne, pour visionner un spectacle gratuitement. Aujourd’hui, « Ouverts, vivants » invite les spectateurs à se rendre… en salle, pour assister à un spectacle payant.

Inventorier ses contenus

Sachant que la plupart des institutions culturelles ont décidé de continuer à proposer des contenus en ligne tout en accueillant des publics dans leurs lieux, la question se complique encore d’un cran. Double objectif, double communication ? Peut-être faut-il commencer par se demander la chose suivante : où s’arrête votre communication et où commence votre produit. Compliqué, surtout quand l’équipe chargée de la communication est également en charge des projets numériques. Le moment est sans doute venu de délimiter votre stratégie de contenu, en commençant par opérer un inventaire :

  • Qu’est-ce qui relève de notre communication (exemple : un teaser de spectacle) ?
  • Qu’est-ce qui doit rester gratuit (exemple : un tableau numérisé en HD et accessible en open source) ?
  • Qu’est-ce qui a du potentiel monétisable (exemple : une expérience de spectacle vivant 100% digitale, immersive et interactive) ?

Orcène à Jérôme Ramacker : Comment différencier ce qui relève de sa communication digitale et ce qui relève d'une offre de contenus en ligne ?

Jérôme Ramacker : La frontière entre la médiation culturelle numérique et le community management était déjà poreuse avant la pandémie; on ne les distinguait souvent que par leur intention. Je dirais qu’une offre de contenus en ligne relève du projet, qui a besoin de supports de communication pour se faire connaître et attirer les publics. C’est évident dans le cas d’un site web proposant une visite virtuelle ou d’une série de vidéos pédagogiques composant une formation à distance. C’est plus complexe lorsqu’il s’agit de réseaux sociaux. Un compte Instagram, par exemple, peut être utilisé comme média en ligne avec des contenus exclusivement digitaux ou comme un canal privilégié pour présenter autrement un contenu existant ailleurs. Dans le premier cas, Instagram est le projet, alors que dans l’autre, il n’est que le moyen de communication.

Ne pas oublier d'informer

On en oublierait presque l’essentiel : communiquer sert à transmettre une information. Ainsi, votre communication à très court terme doit tout simplement servir à informer vos publics des conditions de votre réouverture. Jérôme Ramacker ajoute : « au retour à la normale, il faudra bien informer le public des dispositions prises. Préparez-vous à répondre à leurs questions. Choisir les bons arguments dans une communication responsable. » Un exemple vaut mille mots, et je vous transmets le témoignage d’une amatrice de musées et de sorties culturelles (non, ce n’est pas moi) :

J’ai hâte de retourner sur les lieux culturels, tellement hâte que j’ai eu envie de réserver des créneaux de visite. Je regarde les sites de grands musées et on n’y comprend rien ! Il est indiqué que c’est fermé, et en même temps il y a des liens pour réserver des créneaux (qui parfois ne marchent pas). J’ai écrit à l’un d’eux et on m’a expliqué que les réservations ouvrent à partir du 19 mai, décision que je ne comprends pas très bien. C’est dommage.

Sophie G.

Extrait de la newsletter de l'Atelier des Lumières

L’Atelier les Lumières mise sur sa vitesse de réaction et sur la clarté de son message. Incontournable, l’appel à l’action (réserver son billet) figure en tête de message.

Bannière d'accueil sur le site internet du Théâtre 14

Bien joué, Théâtre 14. Dès l’arrivée sur le site internet, on voit d’un seul coup d’oeil la date de réouverture, l’intégralité de la programmation de fin de saison, et les dates correspondantes. Si lisible qu’on a même réservé nos places.

Réactivité et adaptabilité, la nouvelle ritournelle

En somme, ceux qui parviendront sans doute le mieux à tirer leur épingle du jeu lors de cette reprise auront :

  • imaginé une campagne de communication originale, alignée avec leur projet et leur identité ;
  • mobilisé leur communauté en ciblant, mesurant et adaptant leurs actions de communication ;
  • opéré une réflexion autour de leur stratégie de contenu ;
  • fait preuve de réactivité afin d’informer au mieux leurs publics.

Pour compléter cette lecture, nous vous conseillons de consulter également l’article régulièrement mis à jour en 2020 sur le blog de Jérôme Ramacker : Vers de nouvelles pratiques. La semaine prochaine, nous étendrons la question de la communication avec un troisième conseil : miser sur la proximité géographique.

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Marie Haerrig

Consultante et co-fondatrice d'Orcène

Double diplômée du Master of Science in Management de l’ESSEC Grande Ecole et du Master 2 Marché de l’Art de l’Ecole du Louvre, Marie déploie naturellement son parcours professionnel dans l’écosystème de la culture. Son expérience en gestion de projets culturels est fortement marquée par l’international. Marie a notamment exercé dans les domaines du marché de l’art, du mécénat, de la facture d’instruments de musique et de l’administration de compagnies de spectacle vivant, dans des fonctions de marketing, communication, recherche de fonds et contrôle de gestion. En 2019, elle entreprend avec Orcène de mettre la variété de ses compétences au service des porteurs de projets du champ culturel.